Né pour courir

La course, une histoire profondément humaine

L’évolution de la course selon Lieberman

  Pourquoi courons-nous ? La question semble simple, mais elle plonge ses racines dans des millions d’années d’évolution. Le paléoanthropologue Daniel E. Lieberman a montré que la course à pied n’est pas une activité moderne inventée pour le sport, mais une compétence profondément ancrée dans l’histoire de l’espèce humaine (Lieberman, 2010).

Il y a environ 4,4 millions d’années, les premiers primates bipèdes ont perdu en vitesse et en agilité par rapport à leurs prédécesseurs quadrupèdes. Cela aurait pu être un désavantage évolutif, mais au contraire, l’endurance est devenue un facteur clé de survie. Selon Lieberman, les individus capables de parcourir de longues distances ont été sélectionnés, parce qu’ils pouvaient accéder à la nourriture, échapper aux prédateurs et coopérer dans la chasse (Lieberman, 2010).

  L’endurance, alliée au développement de cerveaux plus volumineux et à la coopération sociale, a façonné l’histoire humaine. Autrement dit, courir n’est pas une activité annexe : c’est un trait évolutif.

 

Des adaptations biomécaniques uniques

Pour comprendre cette aptitude, il faut regarder notre corps. Chaque partie de notre physiologie porte la trace de cette spécialisation. Lieberman a décrit un ensemble d’adaptations biomécaniques qui distinguent l’homme des autres primates (Lieberman, 2010).

  Le talon d’Achille, par exemple, agit comme un ressort en stockant et restituant l’énergie élastique à chaque foulée. La voûte plantaire joue le même rôle de catapulte naturelle. Nos orteils, plus courts que ceux des autres primates, réduisent le risque de fractures liées à l’impact. La longueur de nos jambes augmente l’efficacité des foulées.

  Plus surprenant encore, nos fesses jouent un rôle central : le grand fessier stabilise le bassin et empêche le tronc de basculer vers l’avant. La position basse des épaules et le ligament nuchal qui stabilise la tête complètent ces atouts.

L’ensemble de ces caractéristiques fait de l’homme un coureur d’endurance singulier dans le règne animal. Là où un guépard excelle en vitesse, Homo sapiens excelle en régularité et en résilience.

 

La chasse à l’épuisement, une stratégie unique

  Parmi les hypothèses avancées pour expliquer l’importance de la course, celle de la chasse à l’épuisement est sans doute la plus fascinante. Lieberman a décrit comment nos ancêtres utilisaient la chaleur comme arme (Lieberman, 2010).

  La stratégie consistait à poursuivre (alternance course et marche) un animal pendant des heures, jusqu’à ce qu’il surchauffe. Contraints de s’arrêter pour haleter, les quadrupèdes perdaient en endurance et finissaient par s’effondrer. L’homme, lui, bénéficiait d’une adaptation clé : la sudation. Notre peau, presque dépourvue de poils, permet une dissipation efficace de la chaleur. Ajoutez à cela une cage thoracique permettant une respiration indépendante de la foulée, et vous obtenez un coureur capable de dominer ses proies par la seule endurance.

Cette tactique n’était pas seulement une méthode de chasse : c’était une véritable arme évolutive.

 

Courir aujourd’hui : repousser les limites

  Aujourd’hui, nous ne chassons plus nos repas en courant, mais l’héritage évolutif demeure. Des coureurs d’ultra-endurance parcourent 100, 200 voire 300 kilomètres, prolongeant cette aptitude ancestrale. Pourtant, comme l’a rappelé Lieberman, nos limites ne sont pas uniquement physiologiques mais aussi environnementales (Lieberman, 2010).

  Le manque de sommeil, les températures extrêmes ou la déshydratation constituent des barrières bien plus redoutables que la distance elle-même. Ces contraintes rappellent que, même si l’endurance est gravée dans notre génétique, elle reste conditionnée par le contexte.

 

La course, partie intégrante de la vie humaine

  Au-delà de la performance, cette perspective change notre regard sur la course au quotidien. Selon Lieberman, courir fait partie de notre identité biologique, au même titre que parler ou collaborer (Lieberman, 2010).

  Ce constat a des implications concrètes pour la santé. La course stimule l’os et le cartilage, entretient les muscles et les tendons, améliore le bien-être mental et réduit le stress. En d’autres termes, elle est un antidote naturel contre la sédentarité.

 

En tant que médecin, je vois dans ces données un message clair : nous ne sommes pas faits pour rester immobiles. La course n’est pas seulement un sport ; c’est une manière de renouer avec notre physiologie profonde.

 

Alors, que vous soyez coureur occasionnel, marathonien ou entraîneur, rappelez-vous que chaque foulée est un écho de millions d’années d’évolution.

 

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Bibliographie

  • Lieberman DE. Born to Run? The Evolution of the Human Running. Harvard University Press; 2010.

 

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