Préparer ses pieds pour la course

Pourquoi les pieds comptent plus qu’on ne le pense

   En ultra-trail, la légende veut que ce soit la tête et les jambes qui fassent la différence. Pourtant, ce sont parfois des détails bien plus discrets qui décident du sort d’une course : une ampoule douloureuse, un ongle qui tourne au noir, une peau qui se décolle lentement après 15 heures d’efforts. Rien de grave médicalement. Mais assez pour provoquer l’abandon d’un coureur parfaitement entraîné.

   Les pieds, interface directe avec le sol, sont soumis à un stress mécanique intense et prolongé. Malgré leur rôle crucial, leur préparation reste souvent négligée dans les protocoles d’entraînement. Or les chiffres montrent que cette négligence a un coût.

 

Ce que disent les données scientifiques

   Lors de la Western States Endurance Run (161 km), 38 % des participants ont déclaré avoir eu des ampoules pendant la course (Lipman et al., 2016). Une autre étude sur des courses de plus de 100 km rapportait une prévalence de 44 % (Hodge et al., 2019). Sur l’UTMB, 32 % des coureurs présentaient des lésions cutanées du pied (Scheer et al., 2021).

    Les conséquences de ces blessures ne sont pas uniquement anecdotiques. Elles représentent la deuxième cause de non-finisher (16 % des abandons) et affectent les performances de 40 % des finishers (Donnelly et al., 2018). Dans 6 % des cas, les ampoules seules suffisent à provoquer l’abandon.

    Au total, les lésions du pied et de la cheville représentent jusqu’à 34 % de toutes les blessures recensées chez les ultra-traileurs (Krabak et al., 2019). Une statistique qui invite à prendre au sérieux la préparation du pied, au même titre que celle des quadriceps ou du système digestif.

 

Un principe-clé : l’adaptation au stress mécanique

    Selon La Clinique du Coureur, l’adaptation progressive à une charge mécanique répétée est le fondement de toute prévention en course à pied. Le pied peut, lui aussi, s’adapter aux frictions, à l’humidité et aux contraintes du terrain à condition d’être entraîné comme une structure vivante.

    Cela commence par l’habituation au matériel. Chaussettes et chaussures doivent être testées à l’entraînement, sur sorties longues, dans des conditions similaires à la course : terrains techniques, humidité, sable, pluie. Il faut également intégrer les crèmes de friction à la routine d’entraînement, et non les réserver pour le jour J.

 

La peau, un organe à entraîner

    Les callosités fines offrent une protection naturelle contre les frottements. Mais des callosités trop épaisses deviennent rigides, augmentent le risque de décollement et favorisent l’apparition d’ampoules profondes (Miller et al., 2014).

    Un entretien régulier est nécessaire : bain tiède, ponçage doux et hydratation ciblée permettent de maintenir un bon équilibre. Et comme toujours, pas d’intervention drastique à quelques jours de la course.

 

Les ongles : un détail qui n’en est pas un

    La coupe des ongles est une autre routine à programmer. Trop longs, ils favorisent les chocs ; trop courts, ils peuvent provoquer des plaies. La bonne stratégie : couper les ongles 5 à 7 jours avant la course, puis les limer la veille. En cas d’ongle incarné ou de pathologie unguéale répétée, le recours à un podologue est recommandé.

 

Crèmes et soins préventifs : testés, pas improvisés

    Certains produits sont largement utilisés dans le milieu de l’ultra, comme la crème NOK (Akileïne) ou le spray tannant TANO. D’autres utilisent des méthodes plus naturelles comme le jus de citron ou les bains de thé noir. L’important n’est pas tant le produit que la précocité de son intégration. Rien de nouveau le jour de la course.

 

Renforcer le pied, pas juste le protéger

   Le pied est un amortisseur actif. « Plus il est fort, plus il stabilise, moins il se fatigue ». La Clinique du Coureur met en avant l’entraînement des muscles intrinsèques du pied comme stratégie de prévention. Marche pieds nus (progressive), proprioception, équilibre, exercices de mobilisation de l’hallux ou de griffe d’orteils sont des outils efficaces. Les chaussures à faible drop ou minimalistes peuvent également être introduites de manière progressive.

 

Le jour J : ne rien laisser au hasard

    La routine matinale a son importance. Pieds propres et secs, chaussettes portées la veille, inspection des chaussures (absence de pli, sable, cailloux), laçage ajusté sans excès. En cas de changement de chaussettes pendant la course, il faut nettoyer le pied, réappliquer la crème, et s’assurer de la propreté de la chaussure.

   Des cas particuliers, comme l’hallux valgus, imposent des adaptations : toe box large, laçage personnalisé. L’avis d’un professionnel formé est ici essentiel.

   Les chaussures doivent être éprouvées, jamais neuves. Leur lavage et leur séchage doivent respecter les matériaux. Les modèles Gore-Tex, bien que protecteurs, peuvent devenir contre-productifs s’ils retiennent l’humidité.

 

Anticiper, préparer, répéter

La préparation des pieds ne doit plus être une option. C’est une compétence à part entière. Trop de blessures dites “mineures” peuvent avoir des conséquences majeures sur la course.

Anticiper, préparer, tester. Ne rien improviser. Et s’appuyer sur des professionnels formés aux modules 1.3 et 1.4 de La Clinique du Coureur pour individualiser les conseils.

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·       Lipman GS, Krabak BJ, Waite BL, Logan SB, Menon A, Tenforde AS. Foot care in the wilderness: an expert review. Wilderness Environ Med. 2016;27(2):236-242.

·       Hodge B, Lucas SJ, Lindsay A. Injury epidemiology and risk factors in ultra-endurance running. J Sports Sci. 2019;37(19):2181-2190.

·       Scheer V, Rojas-Valverde D, Aguëro-Caro L, et al. Injuries in ultramarathon running: a systematic review and meta-analysis. Int J Sports Med. 2021;42(7):585-593.

·       Krabak BJ, Waite B, Schiff MA, et al. Injury and illness prevention for ultramarathoners. PM R. 2019;11(6):548-556.

·       Donnelly R, Green C, Jones J, et al. The impact of foot blisters on ultramarathon performance. Br J Sports Med. 2018;52(1):45-50.

·       Miller K, Levy S, Redmond AC. Skin and soft tissue injuries in runners. Foot Ankle Int. 2014;35(11):1145-1151.

 

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