Myocardite virale et course à pied
Myocardite virale et course à pied : ce que les virus font vraiment au cœur des sportifs
Peut-on courir avec un rhume ?
Chaque hiver, des millions de personnes contractent une infection virale. Certaines passent inaperçues, d’autres s’accompagnent de fièvre, de fatigue, de douleurs musculaires. Pour les coureurs et les sportifs, une question revient souvent : est-il raisonnable de continuer à s’entraîner en étant malade ? Peut-on courir avec un rhume ? Faut-il s’arrêter dès les premiers symptômes ? Ces interrogations sont légitimes et, trop souvent, les réponses sont floues ou basées sur des impressions personnelles. Pourtant, la science médicale dispose aujourd’hui de données précises sur les risques encourus, notamment lorsqu’on aborde la question de la myocardite.
Un mot sur la myocardite
La myocardite est une inflammation du muscle cardiaque, le myocarde. Elle est le plus souvent d’origine virale. Si elle peut parfois être bruyante et symptomatique, elle est dans bien des cas silencieuse, ce qui la rend d’autant plus insidieuse. Selon Greaves et al. (2003), entre 5 % et 20 % des patients souffrant d’une infection virale présenteraient une atteinte myocardique, souvent non diagnostiquée. Dans certaines études, des anomalies à l’électrocardiogramme sont retrouvées chez près de 43 % des patients grippés sans symptômes cardiaques.
Pourquoi est-ce important pour les sportifs ? Parce que la myocardite est une cause reconnue de mort subite à l’effort, notamment chez les jeunes adultes. Une étude réalisée sur 162 sujets de 15 à 35 ans (Wistén & Messner, 2005) montre que la myocardite est en cause dans 12 % des décès, souvent en lien direct avec la pratique sportive.
Comment un virus atteint-il le cœur ?
Lorsqu’un virus pénètre dans l’organisme, il peut se fixer sur des récepteurs cellulaires présents au niveau des cardiomyocytes. Ce phénomène, appelé tropisme cardiaque, est bien décrit pour certains virus, comme les coxsackies B, les adénovirus ou encore les parvovirus (Rezkalla & Kloner, 2020).
Dans une première phase aiguë (J0 à J3), le virus envahit les cellules et provoque nécrose ou apoptose. L’organisme réagit par une réponse immunitaire innée, via l’activation de récepteurs (notamment les Toll-Like Receptors) qui déclenchent une production massive de cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNF-alpha).
Dans une seconde phase (J4 à J14), l’immunité adaptative prend le relais, avec intervention des lymphocytes T cytotoxiques et production de cytokines, à nouveau sources de dommages myocardiques collatéraux.
Enfin, dans la phase chronique (au-delà de 15 jours), s’engage un remodelage du tissu myocardique, avec apparition d’une fibrose plus ou moins réversible. Selon les cas, cela peut aboutir à une récupération complète ou à une cardiomyopathie dilatée (jusqu’à 30 % des cas selon Hékimian et al., 2017).
Quand le sport devient un cofacteur de risque
L’exercice physique modifie la réponse immunitaire. Pratiqué régulièrement à intensité modérée, il a un effet protecteur : baisse de l’incidence des infections respiratoires (Chubak et al., 2006), amélioration de la réponse anti-inflammatoire (Petersen & Pedersen, 2005). Mais au-delà d’un certain seuil, l’effet s’inverse.
Le modèle en S (Malm, 2006) montre que les sportifs soumis à des charges d’entraînement élevées deviennent plus vulnérables aux infections. Cette “fenêtre ouverte”, survenant dans les heures suivant un effort intense, correspond à une période de fragilité immunitaire.
C’est dans ce contexte que la myocardite peut apparaître, de façon silencieuse, mais avec un risque majeur : celui de provoquer un trouble du rythme ventriculaire, parfois fatal, par stimulation sympathique excessive ou ischémie myocardique d’effort (Corrado et al., 2006).
L’exemple suédois
Un épisode marquant est celui des coureurs d’orientation suédois, entre 1979 et 1992 : 16 décès brutaux, dont 12 attribués à des myocardites. L’analyse post-mortem a retrouvé une atteinte inflammatoire du myocarde dans la majorité des cas (Wesslén et al., 1996), liée à une infection à Chlamydia pneumoniae.
Fièvre, courbatures, fatigue : le trio d’arrêt
La communauté médicale s’accorde aujourd’hui sur un principe de précaution simple : tant qu’il existe de la fièvre, des courbatures ou une fatigue marquée, la pratique du sport est contre-indiquée.
Ce n’est pas un simple avis de bon sens, c’est une recommandation issue de la conférence de Bethesda et reprise par les recommandations européennes. La reprise doit se faire progressivement, une fois les symptômes résolus, et en tenant compte de la gravité de l’infection.
Peut-on courir avec un rhume ?
C’est probablement la question la plus répandue, y compris sur les forums et dans les cabinets. La réponse est nuancée : un rhume isolé, sans fièvre, sans douleur musculaire, avec un état général conservé, n’est pas une contre-indication stricte à l’effort à intensité modérée. Mais dès qu’un symptôme évocateur d’atteinte systémique apparaît, la prudence s’impose.
Conclusion : un message de prévention essentielle
La myocardite virale est une pathologie silencieuse mais potentiellement grave. Le lien entre infection banale et risque cardiaque n’est pas qu’une hypothèse théorique : c’est une réalité médicale documentée. Informer les coureurs, entraîneurs et soignants sur ces mécanismes, c’est agir en amont, avant que le risque ne se matérialise.
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Bibliographie
· Petersen AM, Pedersen BK. The anti-inflammatory effect of exercise. J Appl Physiol. 2005;98:1154-62.
· Greaves K, Oxford JS, Price CP, Clarke GH, Crake T. The prevalence of myocarditis and skeletal muscle injury during acute viral infection in adults: measurement of cardiac troponins I and T in 152 patients with acute influenza infection. Arch Intern Med. 2003;163:165-8.
· Wesslén L, Påhlson C, Lindquist O, Hjelm E, Gnarpe J, Larsson E, Baandrup U, Eriksson L, Fohlman J, Engstrand L, Linglof T, Nystrom-Rosander C, Gnarpe H, Magnius L, Rolf C, Friman G. An increase in sudden unexpected cardiac deaths among young Swedish orienteers during 1979-1992. Eur Heart J. 1996;17:902-10.
· Corrado D, Migliore F, Basso C, Thiene G. Exercise and the risk of sudden cardiac death. Herz. 2006;31:553-8.
· Nieman DC. Risk of Upper Respiratory Tract Infection in Athletes: An Epidemiologic and Immunologic Perspective. J Athl Train. 1997;32:344-9.
· Rezkalla SH, Kloner RA. Viral myocarditis: 1917-2020: From the Influenza A to the COVID-19 pandemics. Trends Cardiovasc Med. 2020;31(3):163-169.
· Renois F, Nguyen Y, Bani-Sadr F, Fornes P, Andreoletti L. Virologie: Myocardites virales, physiopathologie et diagnostic.
· Hékimian G, Franchineau G, Bréchot N, Schmidt M, Nieszkowska A, Besset S, Luyt CE, Combes A. Diagnostic et prise en charge des myocardites. Med Intensive Rea. 2017;26:196-206.
· Malm C. Susceptibility to infections in elite athletes: the S-curve. Scand J Med Sci Sports. 2006;16:4-6.
· Chubak J, McTiernan A, Sorensen B, et al. Moderate-intensity exercise reduces the incidence of colds among postmenopausal women. Am J Med. 2006;119:937-42.