Le mur du marathon

Le “mur” du marathon : un effondrement plus complexe qu’on ne le pense

Qui n’a jamais entendu parler du fameux “mur” du marathon ? Ce moment redouté, souvent situé entre le 30e et le 35e kilomètre, où tout semble s’effondrer. Les jambes se durcissent, le mental vacille, l’allure chute brutalement. Beaucoup de marathoniens l’ont déjà rencontré, certains s’en sont remis, d’autres y ont laissé leur chrono, voire leur moral. Mais que savons-nous réellement de ce phénomène ? Est-il inévitable ? Et que disent les données scientifiques les plus récentes ?

Derriere l’image, une réalité chiffrée

    La prévalence du “mur” varie fortement selon la méthode d’évaluation. Si l’on se fie à l’étude de Smyth (2021), une analyse massive de plus de 4 millions de résultats de marathon, environ 28 % des hommes et 17 % des femmes rencontreraient le “mur” d’après une définition objective fondée sur un ralentissement net de l’allure en fin de course. En revanche, si l’on s’appuie sur des données déclaratives (Buman et al., 2009), ce chiffre grimpe à 43 % des marathoniens interrogés, soulignant une expérience personnelle marquante, parfois indépendante des données de pacing.

    La différence entre les sexes est notable : les femmes semblent moins souvent concernées, et lorsqu’elles percutent le mur, celui-ci est en moyenne plus court (9,6 km vs 10,7 km) et moins violent (Smyth, 2021). Une régulation d’allure plus prudente ? Une meilleure gestion de l’effort ? La littérature n’apporte pas de réponse définitive, mais ces hypothèses restent plausibles.

Le glycogène : responsable, mais pas unique coupable

    Pendant longtemps, le “mur” a été attribué à une seule cause : la panne de glycogène. L’idée était simple : au-delà de 30 km, les réserves de glucides musculaires seraient épuisées, forçant l’organisme à passer sur une oxydation lipidique moins efficace, dégradant les performances. Mais les données récentes viennent nuancer cette vision.

    Chez les marathoniens entraînés, les réserves de glycogène à l’arrivée ne sont pas nulles. Plusieurs études montrent qu’il resterait entre 30 % et 44 % du glycogène musculaire à l’issue de l’épreuve. De nombreux coureurs sont capables d’accélérer dans les derniers kilomètres, ce qui semble incompatible avec une panne énergétique majeure. En d’autres termes : le glycogène joue un rôle, mais il ne suffit pas à expliquer l’effondrement.

    Le facteur déclencheur pourrait être plus lié à une combinaison de la baisse du glycogène et d’autres variables : intensité de course, capacité à oxyder les lipides, stratégie de ravitaillement, tolérance digestive, etc.

 

Un phénomène multifactoriel : fatigue musculaire et centrale

    La fatigue musculaire joue un rôle central. Les dommages aux fibres musculaires, notamment liés aux contractions excentriques répétées, altèrent la puissance et l’efficacité de la foulée. Certaines études ont mis en évidence une corrélation entre la baisse de la puissance musculaire des membres inférieurs et le déclin de l’allure.

    Sur le plan central, la théorie du “gouverneur central” (Noakes, 2001) propose que le cerveau module l’effort à distance pour protéger l’intégrité de l’organisme. Quand les signaux internes (fatigue, baisse de glycogène, douleurs) deviennent trop alarmants, le cerveau impose une réduction de l’intensité. Le modèle psychobiologique de Marcora (2010), quant à lui, suggère que c’est la perception du coût de l’effort, influencée par la fatigue mentale, qui détermine la performance.

Qui sont les plus à risque ?

    Smyth (2021) a observé que les coureurs ayant un objectif entre 3 h et 5 h 30 sont les plus exposés au “mur”. Les plus rapides ont souvent plus d’expérience et une meilleure efficacité métabolique ; les plus lents utilisent davantage les lipides et endommagent moins leur système musculaire.

    Le pacing agressif est un facteur de risque majeur, en particulier lors d’une tentative de record personnel. Le départ rapide expose à un déficit énergétique précoce, rendant la fin de course très coûteuse. L’historique personnel compte également : les coureurs ayant déjà rencontré le “mur” ont un risque accru de le revivre.

Peut-on prévenir le “mur” ?

Les stratégies préventives s’articulent autour de trois axes :

1.     Entraînement adapté : sorties longues (>32 km), travail à l’allure marathon, entraînement à glycogène bas pour améliorer l’oxydation lipidique.

2.     Musculation : réduction des dommages musculaires, amélioration de l’économie de course.

3.     Préparation mentale et pacing : techniques d’auto-dialogue, travail de la perception de l’effort, gestion fine de l’allure.

 

    Une attention particulière doit aussi être portée à l’alimentation pré-marathon (régime hyperglucidique, affûtage) et à l’entraînement digestif pour améliorer l’absorption des glucides en course.

 

Conclusion : le “mur” n’est pas une fatalité, mais une construction dynamique

    Le mur du marathon n’est pas un point fixe et universel. C’est un état physiologique et mental résultant de l’interaction entre l’entraînement, la gestion de course, le niveau d’expérience, la nutrition et le terrain psychologique du coureur. En comprendre les mécanismes permet de mieux l’anticiper, de le décaler, voire de l’éviter complètement.

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Bibliographie

·       Smyth B. How recreational marathon runners hit the wall. PLoS One. 2021.

·       Buman MP, Omli JW, Giacobbi PR, Brewer BW. Experiences and coping responses of “hitting the wall” for recreational marathon runners. J Appl Sport Psychol. 2008.

·       Noakes TD. Lore of Running. Human Kinetics.

·       Marcora SM. The psychobiological model of endurance performance. Eur J Sport Sci.

·       Millet GY. La fatigue en endurance. De Boeck Sup.

·       Saunders CJ, Pyne DB, Telford RD, Hawley JA. Factors affecting running economy in trained distance runners. Sports Med. 2004.

·       Jeukendrup AE. Nutrition for endurance sports: marathon, triathlon, and road cycling. J Sports Sci. 2004.

·       Stellingwerff T. Contemporary nutrition approaches to optimize elite marathon performance. Int J Sports Physiol Perform. 2016.

·       Cheung SS. Advanced environmental exercise physiology. Human Kinetics. 2010.

·       Sawka MN et al. Exercise and fluid replacement. Med Sci Sports Exerc. 2007.

·       Beelen M et al. Nutritional strategies to promote postexercise recovery. Int J Sport Nutr Exerc Metab. 2010.

·       Bellinger P. Neuromuscular fatigue during endurance exercise. Sports Med. 2020.

 

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