Les bâtons en ultra-trail

Les bâtons en trail : gadget ou réel atout physiologique ?

Une pratique de plus en plus ancrée dans les pelotons

Quiconque a déjà assisté à une grande course de montagne l’a sans doute remarqué : les bâtons de trail sont devenus omniprésents. Sur l’UTMB®, par exemple, rares sont les coureurs de milieu ou de fin de peloton qui ne les utilisent pas, aussi bien en montée qu’en descente. Et dans le haut niveau ? En 2021, les dix premiers hommes à l’arrivée portaient tous des bâtons.

Cette popularité croissante s’explique en partie par la technicité des parcours modernes, souvent longs, alpins, et disputés dans des conditions météorologiques complexes. Mais la véritable question que se posent les coureurs, les entraîneurs et les soignants est ailleurs : les bâtons ont-ils un effet bénéfique mesurable sur la performance et la physiologie du coureur ?

Un gain musculaire... pour les jambes

L’idée que les bâtons « soulagent les jambes » est largement partagée sur le terrain, mais pendant longtemps elle reposait davantage sur le ressenti que sur des données scientifiques solides. C’est ce que sont venus vérifier Giovanelli et ses collègues dans une étude publiée en 2023 dans le European Journal of Applied Physiology (Giovanelli 2023).

Leur objectif ? Mesurer si l’utilisation de bâtons en montée permet réellement de diminuer les forces appliquées au sol par les jambes. Pour cela, ils ont équipé des traileurs de semelles instrumentées et de capteurs de force au niveau des bâtons, lors de montées sur tapis incliné jusqu’à 45° et sur des pentes réelles en montagne. Résultat ? Plus la pente est raide, plus la force de poussée appliquée sur les bâtons augmente... et plus la force exercée au niveau des jambes diminue.

La réduction de la force moyenne au sol était de 2,4 % sur tapis roulant (p < 0,01) et jusqu'à 5,2 % en condition réelle sur terrain, à intensité maximale. Ces résultats soutiennent l’hypothèse que les bâtons permettent un transfert partiel de la charge musculaire des membres inférieurs vers les membres supérieurs, permettant de "préserver les jambes" sur les montées longues et raides.

Coûts énergétiques : une histoire de pente

Mais ce soulagement musculaire s’accompagne-t-il d’une véritable économie d’énergie ? La question fait débat. Dans une étude précédente, Giovanelli et al. (2022) avaient déjà observé que marcher avec des bâtons sur du plat augmentait le coût métabolique de 20 %... sans gain de performance.

Mais lorsqu’on bascule en montée, les résultats changent. Dans leur publication de 2023, les mêmes auteurs ont montré qu'à partir d’une pente de 20° environ (soit plus de 35 %), l’utilisation des bâtons permet de réduire le coût énergétique de 2 à 3 %, avec une baisse significative de la concentration en lactate et de l’effort perçu.

Les sujets déclaraient une perception d'effort de 14 à 18 % inférieure avec les bâtons à pente égale. Ce découplage entre le VO2 (inchangé) et le ressenti permet de comprendre pourquoi certains coureurs préfèrent les bâtons même si la demande métabolique globale reste stable : l’efficacité perçue s’améliore.

Une performance également accrue

Les effets des bâtons ne s’arrêtent pas à la biomécanique ou à la physiologie : ils influencent également la performance réelle. Toujours dans l’étude de Giovanelli (2023), les participants étaient en moyenne 2,5 % plus rapides en montée lorsqu’ils utilisaient les bâtons. Bien que modeste, ce gain peut faire une vraie différence sur des courses longues et dénivelées.

Une autre étude publiée par le même auteur en 2022 (International Journal of Sports Physiology and Performance) avait déjà mis en évidence une amélioration du temps d’ascension chez 80 % des participants lors d’un effort maximal sur 433 m D+ (p = 0,013). À intensité submaximale en revanche, les bâtons ne modifiaient ni le VO2, ni la fréquence cardiaque, ni la concentration en lactate.

Ce que disent les autres revues de littérature

La revue de la littérature proposée par Saller et al. (2023) permet de mettre ces résultats en perspective. Elle confirme que l’utilisation de bâtons réduit les pressions plantaires et les forces de réaction au sol, tout en augmentant l’activation des muscles du tronc et des membres supérieurs. Fait intéressant : la consommation d’oxygène (VO2) augmente, mais sans que cela n’impacte la perception de l’effort (RPE).

Autrement dit, les bâtons déplacent la charge de travail sans l’alourdir. Et plus encore, les auteurs notent que des bâtons plus longs permettent une poussée plus efficace avec un coût métabolique réduit, tandis que le poids des bâtons n’a pas d’impact significatif sur les variables énergétiques.

Technique : un apprentissage nécessaire

Mais tous ces avantages potentiels ne s’expriment que si l’outil est bien maîtrisé. Comme pour la foulée, la technique d’utilisation des bâtons fait toute la différence. Mal positionnés, mal synchronisés ou sous-utilisés, ils peuvent devenir une charge supplémentaire plutôt qu’une aide.

Il est donc indispensable d’intégrer leur usage à l’entraînement : apprentissage du geste, renforcement des membres supérieurs (notamment du grand dorsal), travail de coordination bras-jambes. L’analyse de Giovanelli (2023) montre d’ailleurs que les coureurs qui poussaient le plus fort sur leurs bâtons étaient ceux qui réduisaient le plus les forces exercées par les jambes. Un indicateur clair : ce sont les bras actifs, et non passifs, qui procurent un vrai gain.

Terrain plat, descentes, mix : des limites ?

L’intérêt des bâtons diminue sur terrain plat, voire peut devenir négatif. En effet, sur des sections roulantes, leur usage peut alourdir la gestuelle, mobiliser inutilement les bras, et accroître le coût énergétique (Giovanelli 2022). Les descentes posent aussi question : leur utilité y est plus technique que physiologique, et dépend beaucoup du degré de maîtrise de l’utilisateur.

D’où la nécessité de choisir le bon matériel (rigide ou pliable, longueur adaptée à la taille, dragonnes bien réglées) et de réfléchir stratégiquement à leur portage sur course : où les utiliser, quand les ranger, comment les sortir rapidement, etc.

En synthèse

Les données actuelles convergent : l’utilisation de bâtons en montée permet une redistribution des efforts, un soulagement musculaire significatif des jambes, une amélioration de la perception de l’effort, et, dans certains cas, une meilleure performance.

Mais ces bénéfices sont conditionnés à une pente suffisante, une technique maîtrisée, et une utilisation stratégique. Les bâtons ne sont donc ni une baguette magique, ni un gadget inutile. Ils sont un outil puissant à condition d’être pensés comme tel.

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Bibliographie

  • Giovanelli N, Pellegrini B, Bortolan L, Mari L, Schena F, Lazzer S. Do poles really "save the legs" during uphill pole walking at different intensities? Eur J Appl Physiol. 2023;123(8):1869-1880.

  • Giovanelli N, Mari L, Patini A, Lazzer S. Pole Walking Is Faster but Not Cheaper During Steep Uphill Walking. Int J Sports Physiol Perform. 2022;17(6):943-948.

  • Giovanelli N, Mari L, Patini A, Lazzer S. Energetics and Mechanics of Steep Treadmill Versus Overground Pole Walking: A Pilot Study. Int J Sports Physiol Perform. 2022;17(3):435-440.

  • Saller M, Nagengast N, Frisch M, Fuss FK. A Review of Biomechanical and Physiological Effects of Using Poles in Sports. Bioengineering (Basel). 2023;10(4):497.

  • Lazzer S, Giovanelli N, Bortolan L, Pellegrini B, Schena F. Effects of pole use on physiological responses and performance during uphill walking. Eur J Appl Physiol. 2023;123(3):789-799.

 

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