Arthrose chez le coureur

Arthrose et course à pied : le duo impossible ? Ce que dit vraiment la science

 

L’arthrose a longtemps été perçue comme une sentence inévitable pour les articulations usées. Et la course à pied, dans cette vision, représentait l’un des principaux bourreaux du cartilage. Pourtant, à la lumière des travaux scientifiques récents, cette croyance vacille. Que se passe-t-il vraiment dans une articulation qui court ? Est-ce que courir abîme les genoux ? Est-ce que cela accélère l’usure chez les personnes déjà arthrosiques ? Ou au contraire, la course pourrait-elle, paradoxalement, avoir un effet protecteur ? Décryptage.

 

Un tissu discret mais essentiel : le cartilage articulaire

Pour comprendre l’impact de la course à pied sur l’arthrose, il faut d’abord rappeler ce qu’est le cartilage articulaire. Ce tissu, posé comme une fine couche sur l’os, permet aux surfaces articulaires de glisser sans frottement. Il est dépourvu de nerfs et de vaisseaux sanguins, ce qui rend sa régénération complexe.

Le cartilage est composé de deux éléments clés :

  • Une matrice extracellulaire, riche en eau, collagène et protéoglycanes. L’eau y joue un rôle biomécanique fondamental, les protéoglycanes retiennent cette eau et organisent la tension dans la matrice, et le collagène en assure la rigidité.

  • Des cellules spécialisées, les chondrocytes, qui synthétisent cette matrice et orchestrent son équilibre entre anabolisme (construction) et catabolisme (dégradation).

C’est cette régulation qui est rompue dans l’arthrose.

 

L’arthrose : une maladie de toute l’articulation

On parle souvent de l’arthrose comme d’une « usure » mécanique. Mais ce terme est simpliste. Il s’agit en réalité d’une pathologie inflammatoire chronique de l’ensemble de l’articulation, avec un cercle vicieux pathologique bien identifié :

  • Un facteur initiateur (traumatisme, vieillissement cellulaire, facteurs métaboliques…) déclenche l’accumulation de débris cartilagineux dans l’articulation.

  • Cela stimule une inflammation de la membrane synoviale, avec production de cytokines cataboliques et d’enzymes dégradant la matrice comme les métalloprotéases.

  • Résultat : le catabolisme l’emporte sur l’anabolisme, le cartilage se dégrade, et l’homéostasie est rompue.

C’est donc un déséquilibre complexe, et non un simple frottement mécanique, qui caractérise l’arthrose.

 

Quels sont les vrais facteurs de risque ?

Les études épidémiologiques montrent plusieurs facteurs favorisants bien établis :

  • L’âge : 3 % des moins de 45 ans, 65 % des plus de 65 ans et 80 % des plus de 80 ans sont atteints.

  • Les excès de contrainte mécanique, notamment en cas de surcharge ou mauvaise biomécanique.

  • Les traumatismes articulaires : fracture, entorse, lésion méniscale.

  • Les troubles métaboliques : diabète, obésité, HTA…

  • Les pathologies articulaires comme la chondrocalcinose.

Mais qu’en est-il de la course à pied dans cette équation ?

 

Courir : facteur de risque ou facteur protecteur ?

Contre toute attente, la littérature scientifique récente est claire : la course à pied récréative est associée à une diminution du risque d’arthrose, comparée à la sédentarité.

Une méta-analyse de 2017 (Alentorn-Geli et al.) a comparé les taux d’arthrose de hanche et de genou chez différents groupes :

  • Coureurs récréatifs : 3,5 %

  • Sédentaires : 10,2 %

  • Coureurs d’élite : 13,3 %

La hausse du risque chez les élites serait probablement liée à la pression de performance et à la pratique en dépit de blessures. Mais pour le grand public, courir protège.

 

L’exercice physique, un traitement validé

Loin d’aggraver les symptômes, l’exercice physique est reconnu comme un traitement efficace de l’arthrose. Une méta-analyse de 2022 a comparé l’effet de l’exercice à celui des AINS et du paracétamol : les effets sur la douleur et la fonction sont similaires.

 

Cela s’explique par les multiples effets bénéfiques de l’activité physique :

  • Amélioration de la fonction musculaire

  • Lubrification articulaire

  • Effet anti-inflammatoire systémique

  • Effet analgésique central

 

Idées reçues : la course n’abîme pas les genoux

Contrairement à une idée tenace, la course à pied n’est pas associée à une aggravation radiologique de l’arthrose à court terme. Une revue systématique de 2023 (Dhillon et al.) conclut que les non-coureurs présentent plus de douleurs du genou et un risque plus élevé d’évoluer vers une prothèse de hanche.

Chez les coureurs, on observe même un effet protecteur contre les douleurs généralisées du genou.

Et chez les patients arthrosiques ? Est-ce trop tard ?

 

Courir avec une arthrose : possible et bénéfique

Une étude de cohorte de 8 ans menée chez des coureurs de plus de 50 ans déjà atteints d’arthrose du genou (Lo et al., 2018) montre que la course est associée à une amélioration de la douleur et à une absence de progression radiologique.

Mieux encore, une étude IRM (Esculier et al., 2019) révèle que le cartilage des arthrosiques réagit à la course, mais de façon plus lente, ce qui implique des temps de récupération plus longs. La clé : adapter les charges et écouter les signaux.

 

Blessure au genou : le vrai facteur de risque

S’il y a un point d’attention, c’est bien celui-ci : la blessure articulaire est un facteur de risque majeur.

Une étude issue de la Osteoarthritis Initiative montre que les blessures du genou (lésion des ligaments croisés, lésion méniscale, fracture intra-articulaire) multiplient par six le risque d’arthrose du genou (Lo et al., 2018). Le message est clair : prévenir les blessures est probablement l’une des stratégies les plus efficaces pour prévenir l’arthrose.

 

Cela implique :

  • Une montée progressive des charges

  • Une technique de course adaptée

  • Des programmes de prévention secondaire après blessure

 

Le rôle des chaussures : moins c’est parfois mieux

Enfin, parlons matériel. Une méta-analyse de 33 études (578 participants) a mis en évidence que les chaussures minimalistes peuvent réduire les charges sur l’articulation fémoro-patellaire, ce qui peut être pertinent pour les patients souffrant d’arthrose (Study Review, 2021).

Alléger la chaussure, favoriser le travail musculaire, diminuer les pics de charge : autant d’arguments en faveur d’un chaussage plus sobre, si bien adapté au patient.

 

En conclusion : non, la course à pied ne détruit pas vos genoux

L’ensemble de la littérature converge : la course à pied, bien pratiquée, n’est pas un facteur de risque d’arthrose. Elle est au contraire protectrice chez les non-élites, thérapeutique chez les patients symptomatiques, et nécessite une adaptation chez les arthrosiques.

L’ennemi n’est pas la course, mais la surcharge mal dosée, la blessure non soignée, et la méconnaissance des mécanismes en jeu.

Alors courez. Mais courez informé.

 

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Bibliographie

  • Alentorn-Geli E, et al. The association of recreational and competitive running with hip and knee osteoarthritis: a systematic review and meta-analysis. J Orthop Sports Phys Ther. 2017;47(6):373-390.

  • Esculier J-F, Jarrett M, Krowchuk NM, et al. Cartilage recovery in runners with and without knee osteoarthritis: a pilot study. Knee. 2019;26(6):1049-1057.

  • Lo GH, Musa SM, Driban JB, et al. Running does not increase symptoms or structural progression in people with knee osteoarthritis: data from the Osteoarthritis Initiative. Clin Rheumatol. 2018;37(9):2497-2504.

  • Dhillon H, et al. Effects of running on the development of knee osteoarthritis: an updated systematic review at short-term follow-up. 2023.

  • Exercise therapy vs NSAIDs and paracetamol for knee or hip OA: a network meta-analysis of RCTs. 2022.

  • Study Review. Do biomechanical foot-based interventions reduce patellofemoral joint loads in adults with and without patellofemoral pain or osteoarthritis? A systematic review and meta-analysis. 2021.

  • Effect of body mass index and physical exercise on risk of knee and hip osteoarthritis: longitudinal data from the Norwegian HUNT study.

 

 

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