Immunité et sport
Immunité et sport : pourquoi trop ou trop peu peut nuire à votre santé?
Activité physique : la promesse d’une meilleure immunité ?
Depuis l’Antiquité, l’idée que le mouvement est essentiel à la santé fait son chemin. Aristote déclarait déjà : « Un Homme tombe en état de maladie comme résultat du manque d’exercice. » Si cette intuition traversa les âges, c’est au XXe siècle que la science a commencé à objectiver les relations entre activité physique et système immunitaire.
Aujourd’hui, nous savons que l’exercice agit comme un modulateur immunitaire : il peut renforcer ou affaiblir nos défenses selon sa fréquence, son intensité, sa durée et le contexte dans lequel il est pratiqué. Mais quelle dose est vraiment bénéfique ? Et que se passe-t-il lorsque l’on pousse trop loin le curseur de l’entraînement ?
Une courbe en J : trop peu, trop, ou juste ce qu’il faut ?
La relation entre activité physique et risque infectieux est souvent résumée par une courbe en J, un modèle décrit dans les années 1990 par Nieman (Nieman et al., 1990 ; Nieman et al., 1994). Cette courbe illustre que les extrêmes sont à risque :
Les personnes sédentaires présentent un risque accru d’infections (ORL notamment).
Une activité modérée et régulière exerce un effet protecteur.
Un entrainement intensif et/ou prolongé, en particulier sans récupération suffisante, entraîne une augmentation transitoire du risque infectieux.
Ce constat n’est pas que théorique. Des études ont objectivé une augmentation des infections respiratoires supérieures chez les sportifs très entraînés. Par exemple, lors de deux épreuves d’ultramarathon en Afrique du Sud, les participants ont rapporté significativement plus d’épisodes infectieux ORL dans les jours suivant la compétition par rapport à un groupe contrôle (Bermon, 2020).
Que se passe-t-il dans notre système immunitaire ?
Le système immunitaire comprend deux grandes branches : l’immunité innée (rapide, non spécifique) et l’immunité adaptative (plus lente, mais ciblée). L’exercice modéré stimule ces deux branches. Il augmente la circulation des leucocytes, active les cellules Natural Killer (NK), favorise la production d’IgA salivaires (anticorps de la muqueuse).
Mais un effort trop intense ou trop long modifie cette dynamique : les lymphocytes diminuent, les IgA salivaires chutent, les concentrations de cortisol (hormone du stress) augmentent. Ces modifications induisent une “fenêtre ouverte” immunitaire (open window theory), durant laquelle l’organisme est plus vulnérable aux agents pathogènes (Bermon, 2020 ; Gleeson et al., 2000).
Trop d’effort, trop souvent : qui est concerné ?
Les coureurs amateurs qui s’entraînent plusieurs fois par semaine à intensité modérée ne sont pas en danger. En revanche, ceux qui enchaînent les sorties longues, les compétitions rapprochées, ou qui pratiquent des volumes importants sans stratégie de récupération (sommeil, nutrition, délôad…) s’exposent à des effets inverses : infections à répétition, fatigue chronique, blessure…
Et si, en tant qu’entraîneur, kiné ou médecin, vous avez un doute chez un sportif souvent malade, pensez aussi au RED-S (Relative Energy Deficiency in Sport), un syndrome lié à un déficit énergétique chronique affectant les fonctions hormonales, osseuses, métaboliques… et immunitaires. La prévalence du RED-S est bien décrite chez les sportifs de haut niveau (Mountjoy et al., 2014 ; Logue et al., 2018).
Que faire en pratique ?
Pour les sédentaires : bouger, c’est guérir. L’activité physique régulière est un puissant facteur protecteur contre les infections, au même titre qu’une alimentation variée, un sommeil réparateur ou un statut vaccinal à jour.
Pour les sportifs assidus : éviter les extrêmes. Cela signifie éviter les « pics d’entraînement » trop brutaux, bien planifier les semaines de décharge, surveiller les symptômes d’alerte (fatigue non récupérée, blessures inhabituelles, infections ORL à répétition).
Pour les soignants : soyez attentifs aux signes indirects. Si un coureur qui semble en forme vous consulte pour des angines ou rhinites à répétition, interrogez-le sur son volume d’entraînement, sa nutrition, son poids, son cycle menstruel (chez les femmes). En cas de suspicion de RED-S, une orientation vers un médecin du sport ou une équipe pluridisciplinaire est recommandée.
Un message d’équilibre
Bouger régulièrement est essentiel pour notre santé et notre immunité. Mais comme souvent en médecine, c’est l’excès ou la carence qui deviennent pathologiques. À l’heure où la performance est trop souvent valorisée au détriment de la santé globale, rappelons qu’un corps qui tombe souvent malade n’est pas un corps qui progresse. Il est un corps qui donne l’alerte.
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Bibliographie
Nieman DC, Johanssen LM, Lee JW, Arabatzis K. Infectious episodes in runners before and after the Los Angeles Marathon. Med Sci Sports Exerc. 1990;22(6):768-774.
Nieman DC. Exercise, upper respiratory tract infection, and the immune system. Med Sci Sports Exerc. 1994;26(2):128-139.
Bermon S. Sport et immunité. Rev Prat. 2020;70(4):427-431.
Gleeson M, Pyne DB, Elkington LJ. Current concepts in immunology and exercise. Immunol Cell Biol. 2000;78:536-544.
Mountjoy M, Sundgot-Borgen J, Burke L, et al. The IOC consensus statement: beyond the Female Athlete Triad—Relative Energy Deficiency in Sport (RED-S). Br J Sports Med. 2014;48(7):491-497.
Logue DM, Madigan SM, Delahunt E, Heinen M, Mc Donnell SJ, Corish CA. Low Energy Availability in Athletes: A Review of Prevalence, Dietary Patterns, Physiological Health, and Sports Performance. Sports Med. 2018;48(1):73-96.