ARRET CARDIO-RESPIRATOIRE en course à pied
🫀 L’arrêt cardiaque en course à pied : comprendre, prévenir, informer
Il y a des images qui marquent, des actualités qui attristent profondéments
Un coureur qui s’effondre à quelques mètres de la ligne d’arrivée.
Un drame rarissime, mais qui touche profondément la communauté des coureurs, des médecins du sport, et des soignants de terrain.
À chaque fois, la même question revient : pourquoi ?
Et surtout : aurait-on pu le prévenir ?
En tant que médecin du sport et coureur, je voudrais poser ici les faits, calmement, à la lumière de ce que dit la science en 2025.
🔹 Un risque extrêmement faible
Les données sont solides : la course à pied, même en compétition, reste une pratique très sûre.
Les grands registres américains et français rapportent :
0,54 arrêt cardiaque pour 100 000 finishers sur marathon ou semi-marathon (Kim JH et al., NEJM 2012 ; JAMA 2024).
En France, le registre RACE Paris trouve un chiffre proche : 1,67 / 100 000 participants sur les grandes courses sur route.
Autrement dit : le risque d’arrêt cardiaque sur une course officielle est 20 à 30 fois plus faible que celui observé dans la population générale du même âge.
C’est rarissime — mais jamais anodin.
🔹 Ce que l’on sait des causes
Lorsqu’une cause est identifiée, elle est dans la majorité des cas d’origine cardiaque.
Chez les plus de 35 ans, il s’agit le plus souvent d’une maladie coronarienne athéroscléreuse, parfois silencieuse jusque-là.
Cette cause représente 70 % des cas où un diagnostic a pu être posé (Kim JH, JAMA 2024 ; Landry CH, NEJM 2017 ; Harmon KG, Br J Sports Med 2015).
Chez les moins de 35 ans, on retrouve plutôt :
cardiomyopathies hypertrophiques ou arythmogènes,
canalopathies (syndrome du QT long, Brugada, etc.),
plus rarement myocardites ou troubles du rythme isolés.
Autrement dit, l’effort n’est pas la cause.
Il agit comme un révélateur, un déclencheur d’une pathologie souvent silencieuse.
🔹 Des signes avant-coureurs, parfois présents
C’est l’un des points les plus discutés.
Certaines études ont cherché à savoir si les victimes d’un arrêt cardiaque en course avaient ressenti des symptômes avant l’événement.
Les résultats sont variables :
≈30 à 40 % des sportifs décrivaient des symptômes dans les jours ou semaines précédant (douleur thoracique, palpitations, malaise, essoufflement inhabituel).
Et jusqu’à 74 % dans certaines revues (Stormholt et al., Heart Rhythm 2021).
Ces signes sont souvent discrets, parfois banalisés : une gêne à l’effort, une fatigue « pas comme d’habitude », un malaise fugace.
Rien d’alarmant à première vue… et pourtant.
La prévention commence souvent par l’écoute de ces signaux faibles.
🔹 Le dépistage : ciblé, pas systématique
Les dernières recommandations sont claires (ESC 2020 ; AHA 2025 ; SFC 2024) :
Le dépistage doit être raisonné, proportionné au risque individuel.
En France, la Société Française de Cardiologie recommande un ECG à partir de 12 ans chez les sportifs de compétition, tous les 3 ans jusqu’à 20 ans, puis tous les 5 ans jusqu’à 35 ans.
L’examen clinique et l’interrogatoire restent la pierre angulaire du dépistage.
Un test d’effort n’est indiqué qu’en cas de symptômes, d’anomalie à l’ECG ou de risque cardiovasculaire élevé (âge, tabac, diabète, cholestérol, HTA, antécédents familiaux).
Le message est simple : écouter, cibler, protéger : pas tester tout le monde.
🔹 Et la course dans tout ça ?
Non, la course à pied n’abîme pas le cœur.
Les grandes cohortes longitudinales montrent au contraire une réduction de 20 à 40 % du risque cardiovasculaire global chez les coureurs réguliers (Lee DC et al., Mayo Clin Proc 2014 ; Schnohr P et al., J Am Coll Cardiol 2015).
L’endurance protège, tant qu’elle reste adaptée à chacun.
Chez une minorité de sportifs à très haut volume (plus de 10 h/semaine, voir bien plus, ou plusieurs marathons par an mais surtout pendant des années), on observe parfois des fibroses myocardiques focales liées au stress mécanique répété, sans lien démontré avec la mort subite (Benito B, Eur Heart J 2011 ; La Gerche A, Eur Heart J 2012).
Le bénéfice global de la course reste donc largement supérieur aux risques.
🔹 En résumé
1️⃣ L’arrêt cardiaque en course est exceptionnel.
2️⃣ Dans la majorité des cas, il révèle une pathologie cardiaque préexistante.
3️⃣ Des symptômes prodromiques sont souvent présents, mais discrets.
4️⃣ Le dépistage doit être ciblé, pas systématique.
5️⃣ Et la course à pied, pratiquée régulièrement, protège le cœur.
💬 En pratique
“Écoutez votre corps.”
Ne banalisez pas une douleur thoracique, une syncope, ou un essoufflement inhabituel.
Parlez-en.
Un simple ECG peut parfois sauver une vie.
Et pour tous les autres : continuez à courir, à respirer, à bouger.
C’est probablement le meilleur traitement préventif cardiovasculaire dont nous disposons aujourd’hui.
📚 Références
Kim JH et al., JAMA 2024
Landry CH et al., NEJM 2017
Stormholt ER et al., Heart Rhythm 2021
Harmon KG et al., Br J Sports Med 2015
Lee DC et al., Mayo Clin Proc 2014
La Gerche A et al., Eur Heart J 2012
Société Française de Cardiologie, Recommandations 2024
ESC Guidelines 2020, AHA/ACC 2025