Psychotropes et sport

Entre santé mentale et performance, trouver le juste équilibre

 La santé mentale des sportifs, une réalité trop souvent invisible

L’image que nous avons des sportifs, qu’ils soient amateurs passionnés ou athlètes de haut niveau, est souvent celle d’individus résilients, dynamiques, en pleine santé. Pourtant, derrière la performance se cachent parfois des difficultés psychiques importantes.

L’activité physique régulière joue indéniablement un rôle protecteur contre l’anxiété et la dépression. Plusieurs méta-analyses ont montré que bouger plus de 150 minutes par semaine diminue de 20 à 30 % le risque de symptômes dépressifs (Rebar 2015 ; Schuch 2018 ; Singh 2023). Mais cette protection n’est pas absolue : les athlètes, surtout à haut niveau, ne sont pas épargnés.

Les chiffres sont frappants : environ 17 % des jeunes sportifs de haut niveau présentent un risque de dépression modérée à sévère, 24 % souffrent de troubles anxieux généralisés, et dans certaines cohortes jusqu’à 34 % des élites sportives présentent des symptômes anxieux ou dépressifs (Gouttebarge 2019 ; Reardon 2019). Les facteurs de risque sont multiples : pression de la compétition, blessures répétées, syndrome RED-S (Relative Energy Deficiency in Sport), ou encore isolement social.

Face à ces situations, les traitements psychotropes deviennent parfois nécessaires, en complément d’un suivi psychologique et psychiatrique. Mais leur utilisation dans le contexte sportif soulève des enjeux particuliers : effets secondaires, impact sur la performance, risques cardiovasculaires et vigilance vis-à-vis des règles antidopage.


Les antidépresseurs : choisir avec discernement

Tous les antidépresseurs ne se valent pas dans un contexte sportif. Les tricycliques, par exemple, sont connus pour leurs effets indésirables marqués : prise de poids, sédation, allongement du QT. Ils sont donc à éviter autant que possible (Johnston 2016 ; Reardon 2016).

Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) constituent le traitement de première intention. Parmi eux, la fluoxétine est souvent citée comme particulièrement adaptée. Elle présente un profil relativement neutre : peu de sédation, faible risque de prise de poids et un effet plutôt stimulant (Serretti 2010). Pour un sportif, cela représente un avantage considérable : préserver l’énergie, la vigilance et limiter l’impact métabolique du traitement.

 

Bien entendu, le choix de l’antidépresseur doit être individualisé, en tenant compte du contexte clinique, des antécédents du patient et des éventuelles contre-indications.


Les benzodiazépines : à manier avec précaution

Les benzodiazépines gardent une place dans le traitement de l’anxiété ou des troubles du sommeil, mais leur usage doit rester ponctuel. Dans le sport, elles posent trois problèmes majeurs :

  • Le risque de dépendance et de mésusage.

  • L’altération de la vigilance et du temps de réaction.

  • Un effet négatif possible sur la récupération et la performance (Zandonai 2022).

Lorsqu’une prescription est nécessaire, mieux vaut privilégier des molécules à demi-vie courte, comme l’oxazépam (Seresta®), afin de réduire la sédation résiduelle. D’autres molécules comme le diazépam (Valium®) ou le clorazépate (Tranxène®), à demi-vie très longue, sont beaucoup moins compatibles avec la pratique sportive.

Enfin, certains anxiolytiques comme l’hydroxyzine (Atarax®), parfois utilisés, comportent un risque anticholinergique non négligeable, avec une altération possible de la vigilance.


L’effet anticholinergique : un risque cumulatif à ne pas négliger

Un des points les plus importants – mais souvent sous-estimés – dans la prescription de psychotropes est la charge anticholinergique. Certains antidépresseurs, antipsychotiques ou anxiolytiques possèdent des effets anticholinergiques qui, cumulés, peuvent avoir un impact réel : confusion, troubles de la concentration, sécheresse buccale, troubles visuels ou urinaires (Javelot, Encéphale).

Chez un sportif, ces effets peuvent directement interférer avec la performance, la vigilance et la coordination. L’échelle d’imprégnation anticholinergique actualisée (Javelot, Encéphale) est un outil précieux pour estimer cette charge globale et adapter la prescription.


L’allongement du QT : un danger silencieux

Un autre élément de vigilance est l’effet de certains psychotropes sur le QT. L’allongement de cet intervalle électrocardiographique peut favoriser des arythmies graves, notamment les torsades de pointes. Les antidépresseurs tricycliques et certains antipsychotiques figurent parmi les plus concernés (La Revue du praticien 2024).

Chez un sportif, la surveillance ECG devient essentielle, surtout lorsqu’il existe des facteurs de risque cardiovasculaires associés ou une polymédication. Cet aspect cardiologique est souvent oublié, alors qu’il peut avoir des conséquences majeures.


La clé : surveillance et approche pluridisciplinaire

La prescription de psychotropes dans le sport ne peut se résumer à un choix de molécule. Elle doit s’accompagner d’une surveillance régulière : poids, vigilance, ECG, suivi psychologique.

L’approche pluridisciplinaire est incontournable. Le psychiatre, le médecin du sport, le psychologue, mais aussi parfois le cardiologue ou le préparateur mental, ont chacun un rôle à jouer pour assurer la sécurité du patient et maintenir un équilibre entre santé mentale et performance (Glick 2022 ; Reardon 2019).

Comme le rappellent Walsh et coll. (2021), la gestion du sommeil, souvent perturbé chez les athlètes, fait partie intégrante de cette approche globale. De même, Huang et Ihm (2021) soulignent que les troubles du sommeil augmentent le risque de blessure, ce qui montre à quel point santé mentale, récupération et performance sont interconnectées.

Un enjeu de santé publique dans le sport

La santé mentale des sportifs n’est plus un tabou. De grandes institutions comme l’International Olympic Committee (Reardon 2019) appellent à la reconnaissance de cette problématique et à l’intégration de spécialistes en psychiatrie du sport au sein des équipes médicales.

L’enjeu est double : accompagner le patient dans son parcours thérapeutique et préserver son potentiel athlétique. C’est un équilibre fragile, mais accessible si l’on associe rigueur médicale, interdisciplinarité et suivi attentif.

Conclusion

Les psychotropes sont parfois indispensables chez les sportifs souffrant de troubles anxieux ou dépressifs. Mais leur prescription demande une vigilance accrue : choisir des molécules adaptées (fluoxétine en première intention pour les antidépresseurs, benzodiazépines à demi-vie courte si besoin ponctuel), surveiller les effets anticholinergiques et cardiaques, et inscrire la prise en charge dans une approche pluridisciplinaire.

 

La science est claire : activité physique et traitement psychotrope ne s’opposent pas, mais nécessitent une adaptation fine pour que la santé mentale et la performance puissent coexister harmonieusement.

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Bibliographie

  • Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire. Pratique sportive et état de santé. Disponible sur : https://injep.fr/publication/pratique-sportive-et-etat-de-sante/

  • Singh B, Olds T, Curtis R, Dumuid D, Virgara R, Watson A, et al. Effectiveness of physical activity interventions for improving depression, anxiety and distress: an overview of systematic reviews. Br J Sports Med. 2023;57(18):1203-1209. doi:10.1136/bjsports-2022-106195

  • Institute for Health Metrics and Evaluation. Global health data exchange 2019. University of Washington, 2022.

  • Australian Bureau of Statistics. National study of mental health and wellbeing, 2021-2011. Australian Government, 2022.

  • Javelot H. Les échelles anticholinergiques: usage en psychiatrie et mise à jour de l’échelle d’imprégnation anticholinergique. L’Encéphale.

  • La Revue du praticien. Problèmes courants de santé physique en psychiatrie. Avril 2024.

  • Glick ID, Reardon CL, Stull T. Sports Psychiatry: An Update and the Emerging Role of the Sports Psychiatrist on the Sports Medicine Team. Clin J Sport Med. 2022;32(1):1-2.

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  • Huang K, Ihm J. Sleep and injury risk. Curr Sports Med Rep. 2021;20:286–90.

  • Serretti A, Mandelli L. Antidepressants and body weight: a comprehensive review and meta-analysis.

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  • Schuch FB, Vancampfort D, Firth J, et al. Physical Activity and Incident Depression: A Meta-Analysis of Prospective Cohort Studies. Am J Psychiatry. 2018;175(7):631–648. doi:10.1176/appi.ajp.2018.17111194

 

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