Fer et sport d’endurance : dépistage, alimentation et traitement
(Synthèse 2025 – d’après les recommandations internationales et la pratique clinique)
Le statut martial (réserves en fer) est un déterminant essentiel de la performance, de la récupération et de l’immunité chez le sportif d’endurance. Pourtant, la prise en charge reste complexe : seuils variables selon les sociétés savantes, stratégies différentes entre hématologues, gastro-entérologues, nutritionnistes et médecins du sport, et évolution rapide des recommandations (France, Europe, USA, Australie).
Cet article propose une synthèse des points clés pour le dépistage, la prévention et la prise en charge des déficits martiaux chez le sportif.
1. Pourquoi le fer est-il crucial chez le sportif ?
Rôle central dans le transport de l’oxygène (hémoglobine, myoglobine).
Cofacteur enzymatique indispensable aux processus énergétiques.
Impact démontré sur la performance, la récupération et l’immunité.
Même sans anémie, un déficit en fer peut altérer l’endurance, la tolérance à l’effort et augmenter le risque de blessures ou de fatigue chronique.
2. Populations à risque
Femmes sportives : règles abondantes, RED-S, apports insuffisants.
Sportifs d’endurance : pertes digestives ou urinaires, hémolyse de l’effort.
Stages en altitude : stimulation de l’érythropoïèse augmentant les besoins (implication de l’EPO)
3. Comment dépister un déficit martial ?
Examens de 1re intention
Ferritine + CRP : base indispensable pour interprétation.
NFS : utile mais pas suffisante (anémie souvent absente).
En cas de doute : fer sérique, coefficient de saturation, transferrine.
D’autres éléments peuvent être demandés en fonction du contexte : Vit B12, Folates, TSHus etc
👉 Seuils de référence (à adapter au contexte clinique) :
< 45 µg/L : carence biologique (même sans anémie).
45–70 µg/L : zone « grise », correcte mais souvent insuffisante pour l’endurance ou en pré-altitude.
70 µg/L : réserves optimales (cible en endurance et avant un stage en altitude).
150–200 µg/L : risque de surcharge → discussion spécialisée.
4. Fréquence des contrôles biologiques
(d’après AIS 2024)
1×/an si faible risque.
2×/an si sport d’endurance régulier.
3–4×/an si règles abondantes, antécédents de carence, préparation spécifique (altitude, charges d’entraînement > 10 h/sem).
5. Optimiser les apports naturels
Alimentation équilibrée = base incontournable.
Fer héminique (viandes, poissons) → meilleure absorption.
Fer non héminique (végétaux, légumineuses, céréales) → absorption modulée par le contexte (favorisée par la vitamine C, freinée par le thé, le café, le calcium).
6. Quand envisager une supplémentation ?
Ferritine < 45 µg/L
→ Supplémentation orale recommandée, même sans anémie (grade A, SFED/SNFGE 2024 ; IOC RED-S 2023 ; AIS 2024).
Ferritine 45–70 µg/L + facteurs de risque
→ Discussion au cas par cas : fatigue persistante, baisse de performance, charge > 8 h/sem, régime végétarien, antécédent de carence.
Ferritine > 70 µg/L
→ Pas de supplément systématique, mais surveillance annuelle (ou semestrielle si charge élevée ou préparation altitude).
7. Supplémentation orale : modalités
Formes principales : bisglycinate (👍🏼) ou fumarate (50–100 mg fer élément, quotidien ou 1 j/2).
Tolérance digestive améliorée avec bisglycinate ; vitamine C conseillée en co-prise.
Alternatives : lactoferrine (bonne tolérance, effet anti-inflammatoire), sulfate (économique si toléré), glycoprotein matrix (prometteur, données limitées).
Précautions : éviter café, thé, calcium dans les 2 h autour de la prise.
Contrôle biologique : ferritine + CRP après 8–12 semaines.
8. Supplémentation intraveineuse : indications ciblées
Réservée à des situations précises (grade A, 2013–2025) :
Carence sévère ou intolérance au fer oral.
Besoin de récupération rapide (compétition < 4 sem., stage altitude imminent).
Échec documenté d’un traitement oral bien conduit (≥ 8 sem., observance vérifiée).
⚠️ Points de vigilance : prescription motivée, suivi biologique strict, risque d’infection et de surcharge martiale (> 300 µg/L).
9. Spécificités en altitude
Hypoxie = stimulation érythropoïèse → besoins augmentés.
Objectif pré-altitude : ferritine ≥ 70 µg/L.
Contrôle biologique recommandé 6–8 semaines avant le stage.
Supplémentation si ferritine < 50–70 µg/L.
TAKE HOME MESSAGE
Le déficit martial chez le sportif d’endurance est fréquent, souvent silencieux, mais délétère pour la performance.
La difficulté majeure reste l’hétérogénéité des recommandations : seuils différents entre hématologues, gastro-entérologues, nutritionnistes et médecins du sport ; variations selon les pays (France, USA, Australie).
👉 Clés pratiques :
🧪 Toujours interpréter la ferritine avec la CRP.
🏃🏻♀️ Dépister régulièrement les sportifs à risque.
🍋 Individualiser la prise en charge (alimentation, supplémentation, contexte sportif).
🫵🏻 Actualiser les pratiques car les recommandations évoluent rapidement.
La prise en charge optimale repose sur le dialogue interdisciplinaire (médecine du sport, hématologie, gastro-entérologie, nutrition) pour accompagner au mieux les athlètes, en prévention comme en traitement.
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Bibliographie
1. Dépistage et seuils biologiques
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